Lecture partagée : « Le baron perché » d’Italo Calvino

2021-02-14

En 1767, les petits barons italiens avaient de la suite dans les idées…ou au moins le personnage d’Italo Calvino, Cosimo, 12 ans. Après une bêtise de laquelle il est injustement tenu responsable, le protagoniste haut – sans mauvais jeu de mots – en couleurs grimpe le vieux chêne de la propriété et fait le vœu de ne plus jamais en redescendre. C’est ainsi que, toute sa vie durant, il vivra ses joies et ses peines, ses amours et ses désillusions, ses interrogations et ses convictions, c’est ainsi qu’il percevra la politique et l’histoire perché sur les arbres.

Après Le vicomte pourfendu, premier tome de la trilogie iconique Nos ancêtres d’Italo Calvino, quel plaisir de rencontrer ce petit Cosimo et de renouer avec la plume faussement innocente et enfantine, toute faite de jeux littéraires de l’auteur ! D’autant plus, pour nous lecteurs de Mingzhu Nerval, quand l’histoire se passe dans un jardin ! En quelques 300 pages, Italo Calvino dresse dans ce conte philosophique tant un petit manuel de vie dans un arbre, que, en pointillé, une analyse des relations entre l’homme et la société.

Vous vous en doutez : un manuel pour vivre dans les arbres, ça nous intéresse ! C’est un peu notre rêve à tous, chez Mingzhu Nerval, de nous évader pour plusieurs jours – peut-être pas pour toujours, quand même…on ne pourrait plus voir nos beaux jardins chinois – dans la nature, en lien avec elle, sans qu’aucune contrainte pratique pour un retour vers elle ne se pose. Qu’il s’agisse des défis les plus dangereux comme survivre à l’attaque d’un chat sauvage, ou éteindre un incendie prêt à dévorer son arbre, ou des plus quotidiens, tels que rester propre et gentilhomme, s’instruire, faire ses besoins ou encore se substanter, Cosimo a réponse à tout.

Derrière ce mode d’emploi joliment écrit s’offre un minutieux examen des comportements humains. Lorsque Cosimo, enfant, grimpe à l’arbre, il s’envole en quelques sorte du nid, il prend son autonomie, son indépendance. Forte est alors la tentation de s’approprier un espace, un terrain, son arbre par exemple, et pourquoi pas tous les arbres de la propriété et puis ceux de la propriété de ses voisins… Ce serait pourtant sans compter l’altérité, l’histoire, les normes sociales qui nous lient même lorsque l’on cherche à s’en abstraire physiquement. De son arbre, Cosimo voit et apprend la révolution française, la venue de Napoléon Bonaparte en Italie. Il apprend ce que la communauté permet à l’homme et à l’humanité, il apprend l’obstination à faire rentrer ceux qui sociologiquement sont appelés « déviants » dans la norme. Il apprend que les sentiments envers autrui naissent aussi dans le cœur de ceux qui les évitent, en témoigne sa passion amoureuse pour la petite Symphorose. Et il découvre que la curiosité de l’autre, et des choses, de tout ce qui l’entoure, ne le quitte jamais, preuve indéfectible de son attachement à comprendre son monde et la manière dont la société l’a organisé.

De sa main de maître à l’originalité fantasque, Italo Calvino nous emmène une fois de plus dans une aventure improbable et drolatique toutefois moins innocente que son humour ne pourrait le laissait présager.

Texte par Agathe Moissenet